Vendredi fin pm, vous décidez de vous asseoir au soleil sur la terrasse avec vos enfants qui arrivent de l’école. Ils vous racontent de façon plus ou moins ordonnée leur journée remplie de petits détails, de crayons de couleur et de lacets mal attachés.
Ding. Une notification vient d’entrer.
Vous choisissez de ne pas regarder votre cellulaire afin de profiter de ce moment avec vos enfants et d’entendre la fin de l’histoire de la cour de récréation de votre plus grand.
Ding. Une seconde notification entre.
Vous décidez de regarder rapidement, juste pour voir de qui vient le message, avec la ferme intention de revenir à vos enfants rapidement.
C’est votre directeur des ventes. Il n’a pas réussi à conclure la vente avec ce nouveau client, nouvelle vente qui aurait renflouée vos coffres pour les prochains mois.
Il devient alors de plus en plus ardu pour vous de rester concentré.e sur la collation que vous préparez à votre plus jeune. Vous coupez les pommes et écoutez d’une oreille distraite les discussions qui sont soudainement devenues floues autour de vous.
N’y tenant plus, vous répondez à votre directeur et s’en suit un échange téléphonique qui vous arrachera à la magie éphémère des petits moments de vie du quotidien.
Cette scène n’est pas fictive, ni rarissime, ni exagérée. C’est une scène dans laquelle plusieurs entrepreneur.e.s jouent à chaque jour.
L’hyperconnectivité
L’hyperconnectivité, c’est-à-dire l’intégration des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) dans l’ensemble des sphères de notre vie, est un phénomène bien installé dans notre ère actuelle.
Pour les entrepreneur.e.s, en quête de performance et de croissance, cette hyperconnectivité prend souvent la forme d’une recherche constante et inlassable de nouvelles opportunités d’affaires, de nouvelles connaissances sur le secteur d’activités de l’entreprise et d’une disponibilité de tous les instants pour résoudre tous les enjeux qui pourraient compromettre cette quête ultime.
Mais il y a un coût à cela. Les frontières entre la vie professionnelle et la vie personnelle s’estompent. Le travail devient omnipotent dans notre vie. La capacité à être présent.e auprès de nos proches s’effrite. Considérant que l’on reçoit plus de 100 courriels par jour en moyenne et que 70 % de ceux-ci sont ouverts dans les 6 secondes après leur réception1, sans compter les textos, les messageries instantanées, les appels téléphoniques et toutes les autres applications diverses sur notre cellulaire, il n’est pas surprenant qu’il soit réellement difficile de rester dans le moment présent avec nos proches un jour de congé.
S’en suit pour plusieurs une fatigue numérique généralisée, un sentiment constant d’alerte et de tension, une incapacité à se reposer et un sentiment bien douloureux de culpabilité et de déchirement entre l’envie de rester connecté.e, à l’affût, et la volonté de faire autre chose que de travailler, sans y arriver.
Et le plus grand paradoxe dans tout ça? Cette hyperconnectivité, dans le but de performer davantage, a exactement son effet inverse. La perception d’être productif.ve en travaillant en multitâche est une illusion23 et une source importante de stress et éventuellement, d’épuisement.
Le droit à la déconnexion
À l’heure actuelle, différents pays instaurent ou envisagent des lois concernant le droit à la déconnexion des employés, incluant le Canada4.
Mais est-ce que les entrepreneur.e.s ont eux aussi le droit de se déconnecter? Est-ce envisageable, pour un.e entrepreneur.e, de réduire cette hyperconnectivité?
La réponse simple est oui. Mais pas n’importe comment.
À notre ère, il est impossible d’envisager une déconnexion complète, à moins de s’isoler dans une grotte au fin fond des bois. Notre cellulaire est maintenant requis pour consulter les menus au restaurant, les réservations d’hôtels, les cartes de membres de nos magasins préférés, se repérer sur la route, etc.
Alors bien entendu, lorsqu’on dirige une entreprise, la question ne se pose même pas : cela requiert d’être connecté.e.
Mais pas tout le temps, partout, avec n’importe qui.
Décrocher ne signifie pas se désengager
94 % des entrepreneur.e.s affirment que la plupart de leurs intérêts sont centrés sur leur entreprise et 87 % sentent que leur entreprise fait partie de leur identité5.
Pour plusieurs entrepreneur.e.s, décrocher et se déconnecter momentanément riment avec désengagement. Pire encore : pour d’autres, cela signifie de perdre le contrôle.
Mais si vous le faites adéquatement, vous pourrez retrouver, non pas un sentiment de désengagement ou de catastrophe imminente, mais plutôt un bien-être accru, une productivité améliorée et surtout, le sentiment de vous investir plus équitablement dans l’ensemble des sphères de votre vie.
L’importance de l’expérimentation
Il n’y a pas de stratégie universelle ni de stratégie parfaite pour arriver à décrocher et prendre du repos. Pour y arriver, vous devrez expérimenter.
Voici donc en rafale différentes stratégies que mes client.e.s entrepreneur.e.s ont essayées et qui ont fonctionné pour eux.
Réservez-vous du temps pour du travail profond
Le travail profond est possible dans un état de concentration sans distraction. Il permet de réfléchir à des problèmes complexes, d’établir des stratégies d’affaires, d’utiliser sa créativité pour innover. Sans cet espace mental, le travail ne se fait qu’en surface et est souvent à recommencer.
Pour ce faire, réservez des plages de quelques heures consécutives dans votre agenda pour ce type de travail, fermez la porte de votre bureau et demandez à ne pas être dérangé.e ou faites du télétravail quelques demi-journées par semaine. Bien entendu, cela va nécessiter d’appliquer également la seconde stratégie.
Désactivez les notifications
Dès qu’un ding se fait entendre ou qu’une pastille apparait dans votre champ de vision, il est trop tard, votre attention est déjà fragmentée. Comme la neuroscientifique Sonia Lupien l’indique, travailler en multitâche est nocif pour notre santé psychologique. La solution passe par la concentration6.
Alors, pour reprendre un peu le contrôle de votre attention, désactivez toutes vos notifications et sonneries, ne serait-ce que quelques heures, voire minutes par jour. Expérimentez graduellement ces moments sans interruption. Certain.e.s entrepreneur.e.s que j’accompagne ont fini par désactiver l’ensemble de leurs notifications en tout temps. Ils contrôlent eux-mêmes les moments où ils consultent leurs messages.
Gérez votre disponibilité
Chercher à être disponible et joignable en tout temps, pour tout le monde, n’est pas viable à long terme pour votre santé psychologique. Vous vous mettez à risque face à d’innombrables facteurs externes imprévisibles que vous ne contrôlez pas.
Indiquez que vous êtes absent.e dans les messageries instantanées au travail, activez des messages automatiques d’absence ou d’indisponibilité temporaire dans vos courriels et messages d’accueil téléphonique, avisez longuement d’avance de vos absences et vacances dans votre signature courriel et permettez-vous de télétravailler lorsque vous ressentez le besoin de ne pas être constamment interrompu.e.
Vous rendre momentanément indisponible vous permettra d’élargir votre espace mental et de souffler un peu. Et peut-être aussi, de constater que quand vous n’êtes pas là, les opérations continuent de rouler rondement.
Planifiez vos vacances et prenez-en!
De très nombreux entrepreneur.e.s ne prennent pas de vacances. La peur que les choses ne se passent pas comme prévu, que personne d’autre qu’eux ne puissent résoudre les problèmes rencontrés ou que des opportunités d’affaires leur passent sous le nez figurent parmi les raisons évoquées le plus souvent.
Qu’avez-vous besoin de mettre en place pour vous sentir confortable de partir en vacances?
- Avoir bien avisé et préparé vos clients?
- Avoir délégué clairement les tâches à faire à des personnes de confiance?
- Avoir mis en place un plan de communication en cas de situations urgentes?
- Aller en vacances dans un endroit favorable à la déconnexion (sans réseau, par exemple)?
- Vous entourer de personnes divertissantes qui vous aident à décrocher?
- Renouer avec un loisir?
Identifiez les conditions requises, mettez-les en place et reposez-vous.
Réfléchissez à votre propre rapport aux écrans
L’hyperconnectivité est un phénomène social qui ne disparaitra pas de sitôt. Et qui dit phénomène de société, dit influence sur les individus qui la composent.
Toutefois, amorcer une réflexion sur notre propre rapport aux écrans et aux TIC peut être bénéfique afin d’en faire un sain usage et de mettre en place des stratégies réalistes et adaptées.
Pour quelles raisons ouvrez-vous votre téléphone intelligent ou laissez-vous les multiples notifications venir à vous? Vous divertir, vous détendre, vous distraire, par ennui, pour diminuer votre anxiété, pour maintenir un sentiment de contrôle, gagner en efficacité ou en productivité, offrir votre soutien, vous informer?
Et comment votre utilisation vous fait-elle vous sentir? Détendu.e, stressé.e, apaisé.e, préoccupé.e, surchargé.e, libéré.e?
Quelle est la limite où votre utilisation des TIC contribue à votre mission d’entrepreneur.e et à partir de quand cela constitue-t-il une nuisance à votre pérennité personnelle?
Pour trouver des réponses à ces questions, je vous invite à prendre un moment bien déconnecté.e pour y réfléchir!
- Hyperconnectivité : quand la déconnexion s’invite au travail | Pratiques RH ↩︎
- Télétravail : combien de jours par semaine pour minimiser le stress? | Le téléjournal avec Patrice Roy (radio-canada.ca) ↩︎
- Le multitâche, une source de stress contre-productive – CESH / CSHS | stresshumain.ca ↩︎
- Budget fédéral 2024: le droit à la déconnexion dans le viseur d’Ottawa | LesAffaires.com ↩︎
- Guide sur la santé et le bien-être des entrepreneur(e)s – Guide sur la santé et le bien-être des entrepreneur(e)s | hec.ca ↩︎
- « L’antidote au stress au travail, ce n’est pas la relaxation, c’est la concentration » | lepoint.fr ↩︎
Marie-Eve Landry
Psychologue clinicienne et organisationnelle depuis plus de 20 ans, Marie-Eve est la fondatrice d’ORÉE LEADERSHIP, une firme entièrement dédiée à la prévention en santé psychologique auprès des entrepreneur.e.s. Elle accompagne les individus, les équipes et les organisations dans le développement des compétences reliées au savoir-être, à la gestion de soi et au leadership.