Photo: Jean-Louis Bordeleau, Le Devoir. Amirreza Ataei a décidé en 2021 de lancer son entreprise de technologies de pointe, Chemia Discovery. Parmi tous les instituts de recherche quantique du monde, il a choisi celui de l’Estrie pour s’implanter.
L’industrie du savoir profite à Sherbrooke. En misant depuis quelques années sur des incubateurs d’entreprises, un institut quantique et des technologies de pointe, la reine des Cantons-de-l’Est a renversé l’exode de ses cerveaux pour devenir un aimant à scientifiques. Visite de l’un des creusets technologiques du Québec.
Amirreza Ataei a décidé en 2021 de lancer son entreprise de technologies de pointe, Chemia Discovery. Parmi tous les instituts de recherche quantique du monde, il a choisi celui de l’Estrie pour s’implanter. « Si tu me demandes pourquoi j’ai choisi Sherbrooke, c’est à cause de cette machine-là », explique cet Iranien d’origine.
Le petit cylindre de métal n’a l’air de rien, mais un écriteau rappelle qu’il n’est pas aussi inoffensif que l’on pourrait croire. « Danger : champ magnétique puissant », lit-on en jaune et noir. Le curieux engin provoque la cohabitation d’un champ magnétique extrême (20 000 fois plus qu’un aimant de réfrigérateur) et d’un froid tout aussi extrême (autour de -273 °C). On teste dans ce tube des prototypes de « supraconducteurs » ou de « liquides de spin », des matériaux aux noms aussi futuristes que leurs propriétés.
« Dès notre départ en affaires, on voulait découvrir nos matériaux quantiques », explique le scientifique devenu entrepreneur. « Il y a des applications traditionnelles de matériaux, comme l’imagerie médicale, les trains à lévitation magnétique […] Un exemple intéressant, c’est de trouver des matériaux qui absorbent le dioxyde de carbone (CO2) de l’atmosphère et qui, en plus de ça, possèdent les propriétés physiques de faire bouger le CO2 à l’intérieur de sa structure cristalline. Autrement dit, on peut développer des filtres qui ne s’épuisent jamais. »
On formait les meilleurs, mais on les exportait partout sur la planète. Pourquoi ne pas le faire ici ?
— Christian Sarra-Bournet
Ces cristaux presque magiques pour le commun des mortels naissent grâce à son talent, mais aussi au soutien de l’Institut quantique (IQ) de l’Université de Sherbrooke. Une quinzaine de compagnies différentes gravitent autour de ces équipements de pointe. Ces entreprises possèdent des racines à Vancouver, en Irlande, en France. Une entreprise coréenne et une autre espagnole devraient aussi bientôt s’installer dans les environs, a appris Le Devoir. Selon M. Ataei, environ 30 % de ses collègues proviennent déjà de l’extérieur du pays.
Ces cristaux presque magiques pour le commun des mortels naissent grâce à son talent, mais aussi au soutien de l’Institut quantique (IQ) de l’Université de Sherbrooke. Une quinzaine de compagnies différentes gravitent autour de ces équipements de pointe. Ces entreprises possèdent des racines à Vancouver, en Irlande, en France. Une entreprise coréenne et une autre espagnole devraient aussi bientôt s’installer dans les environs, a appris Le Devoir. Selon M. Ataei, environ 30 % de ses collègues proviennent déjà de l’extérieur du pays.
Sortir du laboratoire
Fabriquer des matériaux quantiques en laboratoire n’est pas tout. Encore faut-il les vendre. Pour y arriver, l’entreprise d’Amirreza Ataei compte sur l’Accélérateur de création d’entreprises technologique (ACET). L’équipe a aidé plus de 150 entreprises à se lancer en une décennie d’existence, souligne en entrevue Ghyslain Goulet, président-directeur général de cet incubateur. « Depuis 2010, on a vu naître beaucoup de jeunes pousses. Sherbrooke est vraiment en train de faire un virage vers une économie de valeurs ajoutées. »
La proximité de Sherbrooke avec les États-Unis permet à bien des industries d’entamer leur croissance en Nouvelle-Angleterre, là où se trouve un grand bassin de clients, souligne-t-il. De toute façon, se tourner vers l’extérieur du Québec est pratiquement incontournable dans l’industrie du savoir, tant pour recruter de la main-d’oeuvre que pour trouver de nouveaux clients. « Les premiers clients de technologie sont souvent au Québec. Mais, en quantique, c’est souvent de grands groupes qu’on n’a pas au Québec. La quantique, ça se passe beaucoup par l’international. »
Du savoir de partout
Peu d’unanimité émerge dans le domaine quantique, mais « une chose sur laquelle tout le monde s’entend, c’est la pénurie de talents, » selon le directeur de l’IQ, Christian Sarra-Bournet. Ce dernier a contribué à mettre sur pied cet institut en 2016. « On formait les meilleurs, mais on les exportait partout sur la planète. Pourquoi ne pas le faire ici ? » se rappelle-t-il. Depuis, l’exode est devenu attraction. Aujourd’hui, près de 60 % des 250 étudiants de l’Institut quantique proviennent de l’extérieur du Canada.
On commence à avoir des processeurs quantiques de plus en plus puissants. Ça nous prend des bons programmeurs parce que c’est vraiment une nouvelle façon de faire de la programmation.
— Christian Sarra-Bournet
La réputation de chercheurs de renoms comme Louis Taillefer pèse aussi beaucoup dans cette capacité d’attraction. C’est du moins ce qu’affirme Amirreza Ataei : « [En Iran], je suis allé sur Google et j’ai cherché les publications scientifiques dans le domaine de la recherche de matériaux quantiques. [Louis Taillefer] fait partie des dix premiers chercheurs cités et des trois ou quatre chercheurs vivants. Ça m’a conduit à choisir [Sherbrooke]. »
L’Université de Sherbrooke ne néglige pas pour autant la place des étudiants d’ici dans la croissance de l’industrie du savoir. Un nouveau baccalauréat a vu le jour en 2022 spécifiquement en sciences de l’information quantique, le premier du genre au monde. « On commence à avoir des processeurs quantiques de plus en plus puissants. Ça nous prend des bons programmeurs parce que c’est vraiment une nouvelle façon de faire de la programmation », indique M. Sarra-Bournet.
Presque 80 % des étudiants qui décrochent un diplôme dans le domaine quantique à l’Université de Sherbrooke finissent par travailler en entreprise. Le reste demeurera dans le giron universitaire.
Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.