Étienne Plamondon-Emond | Québec Science
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Ozero Solutions a conçu une station de nettoyage pour tuer les espèces exotiques envahissantes, qui voyagent cachées dans la tuyauterie interne des bateaux.
Le temps est nuageux en cette première journée des vacances de la construction, mais une file se forme néanmoins à l’approche de la rampe de mise à l’eau La Capitainerie, à Magog. Les camions patientent pour faire nettoyer l’extérieur de leur embarcation, accrochée à leur remorque, par des employés de la municipalité. Cette dernière l’oblige, question de déloger toute espèce exotique envahissante qui serait restée agrippée à la coque depuis la dernière navigation sur d’autres étendues d’eau.
Maxime Guay reste à l’affût, vêtu d’un teeshirt et d’un chapeau aux couleurs de l’entreprise Ozero Solutions, qu’il a fondée avec cinq autres finissants en génie mécanique de l’Université de Sherbrooke. Il s’avance à la rencontre du propriétaire d’un bateau possédant un vivier, un bassin d’eau pour garder vivant les poissons pêchés. Il lui propose de faire le lavage au-delà de la coque en décontaminant la tuyauterie interne avec une technologie dont il est l’un des concepteurs. Le but : s’assurer de tuer tout mollusque, toute plante ou tout microorganisme venus d’ailleurs qui pourraient subsister à bord, puis s’échapper dans les rivières ou les lacs avoisinants et bouleverser la biodiversité en place.
Après la discussion, le jeune ingénieur revient bredouille , mais demeure souriant. « Il faut faire beaucoup de sensibilisation », concède-t-il.
À ce jour, plus de 400 propriétaires de bateau ont accepté de faire nettoyer gratuitement leur vivier ou leur ballast, un compartiment contenant de l’eau pour assurer la stabilité de l’embarcation. « Certains comprennent que c’est la santé du lac où ils passent leur temps qui est en jeu, souligne Matys Tessier, un autre cofondateur d’Ozero Solutions. Ce n’est pas intéressant pour eux d’avoir des espèces qui risquent, par exemple, de détruire leur pêche. »
Le problème est connu depuis longtemps. Dès 2001, une étude réalisée par des chercheurs canadiens et américains au lac Sainte-Claire, situé entre le Michigan et l’Ontario, a ciblé la tuyauterie interne des bateaux comme un important vecteur de propagation de la moule zébrée, originaire d’Europe. Ses larves, invisibles à l’œil nu, sont de 40 à 100 fois plus abondantes dans les viviers que dans toute autre partie de l’embarcation.
Quand l’équipe d’Ozero Solutions cogne en 2020 à la porte de la Ville de Magog, c’est d’ailleurs en raison de la moule zébrée qu’elle trouve des oreilles attentives. Une employée de la municipalité en a repéré pour la première fois sur les rives du lac Memphrémagog en 2017. « L’implantation de l’espèce va malheureusement très vite. C’est exponentiel », constate Josiane K. Pouliot, coordonnatrice de la division Environnement à la Ville de Magog. Ce mollusque cause souvent des dégâts dans les infrastructures, notamment en bloquant des entrées d’eau potable. Or, le lac sert justement de réservoir d’eau potable pour plus de 175 000 personnes. Et si sa température généralement froide devrait en principe freiner l’espèce, qui se reproduit normalement à plus de 10 °C, Josiane K. Pouliot préfère anticiper le pire avec les changements climatiques. « Si l’on ne fait pas de prévention, on pourrait avoir de mauvaises surprises. »
La municipalité a donc accepté de servir de vitrine technologique durant deux ans dans un projet de 360 000 $, financé en partie par Investissement Québec. L’équipe d’Ozero Solutions s’est engagée à faire voyager sa station de lavage dans les environs durant les étés 2021 et 2022, tandis que les employés de la Ville de Magog en manipuleront une deuxième à La Capitainerie en 2022. Pas mal pour un projet de fin de baccalauréat !
Le pouvoir de l’eau chaude
Dans la conception de sa technologie, l’équipe d’Ozero Solutions s’est appuyée sur l’expertise d’étudiants du baccalauréat en génie biotechnologique et d’une technicienne de laboratoire de l’Université de Sherbrooke. Ensemble, ils ont testé la résistance de moules zébrées adultes au chlore, à l’ozone, au chlorure de potassium et à l’eau chauffée à 45 °C. « L’eau chaude était la plus efficace », indique Maxime Guay.
Ensuite, ils ont élaboré un système composé de tuyaux, de valves, de capteurs et d’une poignée dite à « ventouse active ». Ces composants permettent d’introduire l’eau à la température et à la pression souhaitées pour éliminer les intrus tout en évitant d’endommager les embarcations.
À l’été 2020, les bacheliers remportent avec leur innovation le Défi AquaHacking en Colombie-Britannique, puis réalisent une tournée de démonstration en Estrie et en Abitibi-Témiscamingue. « Il y a encore des trucs à améliorer, notamment pour réduire les coûts et la taille de l’équipement, dit Olivier Liberge, un autre cofondateur de la jeune pousse. Mais l’appareil fonctionne bien. » En plus de la vitrine à Magog, l’entreprise en démarrage a loué une station de lavage à la MRC des Sources et effectué sa première vente au Club nautique de Lac-Etchemin cet été. Elle lorgne aussi le marché américain, où elle n’a vu apparaître qu’un seul compétiteur, qui nettoie des ballasts à l’aide d’installations plus lourdes et énergivores.
Alors qu’un deuxième propriétaire d’affilée refuse de laisser nettoyer son vivier, Maxime Guay ne se laisse pas démonter et conserve son large sourire. « Les gens se plaignaient au début quand ils devaient laver la coque de leur bateau et la remorque. Maintenant, plus personne ne rechigne. Espérons que ce sera aussi le cas pour la tuyauterie interne. »
Comment ça marche
Le bateau reçoit son traitement avant d’être mis à l’eau. Une poignée brevetée, dite à « ventouse active », est posée à l’entrée de la tuyauterie interne sous la coque du bateau et s’y agrippe fermement grâce à un effet de succion. Puis, le propriétaire actionne les pompes de son bateau.
Dans un panneau hydraulique, breveté par l’entreprise, de l’eau à température pièce se mêle à de l’eau sortant d’un chauffe-eau. Une valve thermostatique permet que le ratio d’eau froide et d’eau chaude, peu importe la température de celle issue du chauffe-eau, donne un mélange à 55 °C. Il s’agit de la température maximale pour ne pas endommager les composants internes de l’embarcation.
De 15 à 30 l de cette eau, selon qu’il s’agit d’un vivier ou d’un ballast, sont acheminés dans le bateau par la poignée. Si le propriétaire a oublié d’actionner les pompes de l’embarcation, un capteur de pression détecte l’anomalie et une valve de contournement s’ouvre pour retourner l’eau vers un réservoir.
L’eau se refroidit une fois dans l’embarcation, où elle ne descend jamais sous 45 °C. C’est la température à laquelle les espèces exotiques envahissantes les plus résistantes meurent.
L’eau est maintenue durant deux minutes dans la tuyauterie interne pour s’assurer qu’elle élimine les espèces indésirables. Elle est ensuite évacuée de l’embarcation avant la mise à l’eau.