150 emplois hautement spécialisés seront créés en 10 ans dans la capitale canadienne des sciences quantiques

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L’architecture du pavillon de l’Institut quantique de Sherbrooke est inspirée d’un réfrigérateur à dilution, un appareil essentiel pour les recherches en physique quantique. PHOTO MATHIEU-ROBERT SAUVÉ

Mathieu-Robert Sauvé | Le Journal de Montréal | Lire l’article original

Les recherches en physique quantique sont derrière l’imagerie par résonance magnétique, les lasers et les GPS, mais maintenant, la ville de Sherbrooke prépare une grande révolution quantique dans nos ordinateurs.

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Alexandre Blais, professeur au Département de physique de l’Université de Sherbrooke et directeur scientifique de l’Institut quantique. PHOTO MATHIEU-ROBERT SAUVÉ

« On s’approche d’un temps nouveau dans nos méthodes de calcul », lance le physicien Alexandre Blais, qui tient dans ses mains une composante de l’ordinateur de demain.

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Prototype d’une composante de l’ordinateur quantique, cette pièce de métal contient des supraconducteurs de quatre qubits. PHOTO MATHIEU-ROBERT SAUVÉ

Sur une pièce de métal de la grosseur d’un couvercle de pot de confiture, on peut voir quatre minuscules surfaces brillantes. Ce sont des qubits (de « quantum » et « bit ») faits de matériaux supraconducteurs.

« Il s’agit d’un prototype qui date déjà de quelques années, mais il représente bien la révolution quantique qui s’en vient », dit cet expert qui a étudié à Yale, aux États-Unis, avant de revenir s’installer au Québec. Ses recherches, qui ont fait le tour du monde, ont permis des percées dans la recherche en supraconductivité (voir plus bas).

Premier pôle quantique

Comme lui, Louis Taillefer a choisi Sherbrooke, en Estrie, pour déposer ses valises de chercheur en 2002.

« J’ai quitté un poste à l’Université de Toronto et déménagé mon équipe ici pour me rapprocher du Québec et vivre en français. Aucun regret », dit ce physicien émérite qui a emmené avec lui des étudiants, des chercheurs… et des dizaines de millions $ de fonds de recherche.

Plutôt que de s’éparpiller dans de multiples orientations, l’Université de Sherbrooke (UdeS) a choisi il y a plus de 40 ans de se concentrer autour des sciences quantiques et elle en récolte aujourd’hui les fruits, commente le vice-recteur à la recherche, Jean-Pierre Perreault, qui est également président de l’ACFAS (anciennement connue sous le nom de l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences).

« Le département de physique a recruté des gens exceptionnels dans plusieurs champs du quantique allant des matériaux à la communication, ce qui nous a conduits à prendre de plus en plus de place dans l’écosystème mondial des sciences quantiques », ajoute-t-il.

Capitale canadienne

Appuyant ce positionnement, le gouvernement du Québec a investi 435 millions $ l’an dernier pour faire de Sherbrooke la capitale canadienne des sciences quantiques.

Pas moins de 150 emplois seront créés en dix ans autour des nouvelles technologies de l’infiniment petit.

Le tout nouvel Institut quantique, un immeuble magnifique de 12 millions $ signé Gilles Saucier sorti de terre il y a quelques mois sur le campus de l’UdeS, n’est qu’une des retombées de ces investissements.

C’est ici que les diplômés du nouveau programme de baccalauréat en sciences quantiques de l’UdeS seront amenés à poursuivre leurs recherches de maîtrise et de doctorat, dont certaines ont déjà conduit à lancer des entreprises.

BOUSSOLE QUANTIQUE

David Roy-Guay, entrepreneur

Après ses études à l’Université de Sherbrooke, David Roy-Guay a lancé SBQuantum, qui compte aujourd’hui 12 employés et accueille une dizaine de stagiaires par an. L’entreprise développe et commercialise un nouveau type de boussoles appelées « magnétomètres quantiques à base de diamant ». La technologie pourrait révolutionner la détection de gisements miniers et servir à la détection d’engins métalliques sous l’eau ou dans l’espace. Des essais sur le terrain ont été tentés au cours des derniers mois.

Le choix de Sherbrooke allait de soi en raison de l’écosystème technologique mis en place au cours des dernières décennies. « On trouve ici un bassin d’ingénieur.es, physicien.nes hautement qualifié.es, un avantage essentiel dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre », explique le physicien au Journal.

UNE RÉVOLUTION EN TROIS ACTES

Informatique

L’ordinateur quantique permettra des développements comparables à l’arrivée d’internet dans nos vies, voire plus encore. Nouveaux médicaments, nouveaux systèmes de transport, nouveaux matériaux. Les possibilités sont sans limites.

Supraconductivité

De 8 à 15 % de l’électricité se perd dans les nuages avec les moyens conventionnels. La supraconductivité permettra d’éliminer ces pertes et de capter l’énergie du soleil dans le Sahara pour chauffer des maisons en Suède… Le défi, c’est de réussir cet exploit à la température ambiante et non à -135 degrés Celsius.

Sécurité

La cryptographie quantique assurerait l’inviolabilité des communications. Un chercheur québécois, Gilles Brassard, a réalisé des percées dans ce secteur en 1984. Il pourrait recevoir le prix Nobel de physique pour ses travaux.

UNE NOUVELLE FAÇON DE PENSER

Alors que les ordinateurs classiques fonctionnent sur mode binaire : 0 ou 1 ; l’ordinateur quantique fonctionne comme s’il pouvait être 0 et 1.

« Ça semble simple comme ça, mais c’est comme si je vous disais que je suis actuellement à la fois à
Montréal et à Los Angeles », lance le physicien Alexandre Blais.

Défi pour l’intelligence, la physique quantique a longtemps été confinée à la recherche fondamentale jusqu’à ce qu’elle donne ses premières applications en 1960 avec le rayon laser. Puis on l’a vu servir de base à l’imagerie médicale, à la navigation par satellite et à la mémoire de nos téléphones intelligents.

Habitué aux exercices de vulgarisation, le professeur Blais donne l’exemple d’un papier jaune « post-it » que vous devez trouver dans les pages d’un livre déposé à la Bibliothèque nationale. L’ordinateur classique procéderait de façon séquentielle, soit un livre à la fois jusqu’à la découverte. L’ordinateur quantique aurait la possibilité d’ouvrir en même temps tous les livres… Une accélération phénoménale.

VERS L’ORDINATEUR INFAILLIBLE

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Des employés de Nord Quantique. PHOTO FOURNIE PAR NORD QUANTIQUE

La mise au point de l’ordinateur quantique est une course internationale à laquelle une entreprise de Sherbrooke, Nord Quantique, participe. Son originalité : diminuer les erreurs générées par cette technologie.

« Ce qui limite l’utilisation des ordinateurs quantiques actuellement, ce sont les erreurs : environ une par millier. Nous voulons réduire cette faille par une optimisation des procédés », explique Julien Camirand Lemyre.

Le jeune homme a cofondé son entreprise en 2020 après avoir complété son doctorat en informatique quantique à l’Université de Sherbrooke. Avec son collègue Philippe Saint-Jean, il espère pouvoir mettre au point un ordinateur quantique quasi infaillible, qui ne ferait qu’une erreur par millier de milliards (10-12).

Avec 21 employés, l’entreprise a obtenu un budget de démarrage de 10,7 millions de dollars. Date de livraison des premiers ordinateurs infaillibles : 2026 ou 2028.

COMPRENDRE CE QUE NOUS NE VOYONS PAS

C’est pour comprendre l’infiniment petit qu’Alfred Einstein et Niels Bohr jettent les bases de la mécanique quantique en 1905.

L’atome constitue la base de la matière. Mais cet objet est si petit qu’aucun humain ne l’a jamais vu ; on ne peut qu’imaginer sa structure formée d’un noyau entouré d’électrons.

Les physiciens Albert Einstein, un Américain, et Niels Bohr, un Danois, imaginent au milieu du 20siècle une nouvelle approche qui répond à des règles différentes de celles qu’on observe dans notre quotidien : la mécanique quantique. Dans ce monde mystérieux, les règles habituelles de la physique (et une grande partie de la logique) ne répondent plus.

Plus rien ne sera pareil dans la manière d’imaginer l’infiniment petit. Mais il reste encore beaucoup à apprendre.

« Si vous croyez comprendre la mécanique quantique, c’est que vous ne la comprenez pas », disait le physicien Richard Feynman (1918-1988).

INFINIMENT PETIT

L’ordinateur quantique n’est pas encore fonctionnel, mais on s’en approche. La compagnie IBM a créé un prototype de 5 qubits en 2016. Google a répondu en 2019 avec une machine de 53 qubits. En 2021, celui-ci a atteint 127 qubits et IBM a repris les devants en 2022 avec un dispositif de 433 qubits.

Pour donner une idée des performances à la portée de ces nouveaux outils informatiques, il suffit de savoir que le plus puissant ordinateur au monde, d’une valeur de 250 millions de dollars, aurait mis 15 000 ans à réaliser un calcul qu’un ordinateur quantique de 53 qubits a accompli en 300 secondes.